2/24/2014

criticavit Lafont de Saint-Yenne, 1747


« Je viens à la fin de votre Lettre, & au dernier reproche qui m’a été fait, d’avoir gardé l’Incognito. L’on s'est efforcé, dites-vous, de jetter un caractére odieux sur toute Critique anonime. La singularité de ce reproche ne m’a pas moins étonné que celle du Paradoxe que j’ai combattu ci-dessus. Non-seulement je ne me crois pas coupable de ne m’être point nommé, mais je pense encore avec un de nos plus grands Ecrivains, qu’il n’est jamais permis à qui que ce soit de le faire, quelque modeste & quelque équitable que soit la Critique. N’est-ce pas défier le Public, & lui dire hardiment que l’on ne craint point la censure des décisions que l’on publie, dès que l’on ose se montrer à visage découvert ? Et d’ailleurs quelle autorité auroit pû donner à ma Critique le nom d’un inconnu ? Si mes remarques sur les défauts des Ouvrages exposés sont vraïes, qu’importe de quelle part vienne la vérité à ceux qui la désirent ? Si elles sont fausses, elles ne méritent que du mépris, venant surtout d’un Anonime. En me nommant, n’aurois-je pas affiché l’envie de tirer de la vanité & de la réputation de ma Critique ; & j’ai déclaré dans mes Réflexions que je renonçais à cette frivole gloire, en exposant en peu de mots les motifs qui m’ont déterminé à les écrire, & que je vais vous dire ici un peu plus au long […]

Peu idolâtre de l’encens du Public, dont j’ai pesé il y a long-tems la fumée, je suis aujourd’hui plus convaincu que jamais de l’erreur de ceux qui dans un état privé & sans nécessité, sacrifient au zèle pour la Patrie, & au vain nom d’homme d’esprit & de goût, les deux seuls biens dignes à mon gré de leur ambition, la tranquillité, & l’indépendance. Trésors précieux & divins ! mais dont les hommes ignorent le prix. Je dis la tranquillité, parce qu’il n’est plus de repos pour un homme qui espère follement satisfaire le Public, en répondant à ses Critiques. Si j’ajoute l’indépendance, c’est que tout Auteur porte les fers de la bizarrerie de ce Public & de sa malignité. Je viens de l’éprouver à l’occasion de ce petit Ouvrage… »

"Anonime", alias Étienne La Font de Saint-Yenne (1688-1771), Lettre de l'Auteur des REFLEXIONS sur la Peinture, & de l'examen des Ouvrages exposés au Louvre en 1746, 1747

  


Réflexions sur quelques causes de l'état présent de la peinture en France avec un examen des principaux ouvrages exposés au Louvre le mois d'août 1746, 1747













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