« Je viens à la fin de votre Lettre, & au dernier reproche qui m’a été fait, d’avoir gardé l’Incognito. L’on s'est efforcé, dites-vous, de jetter un caractére odieux sur toute Critique anonime. La singularité de ce reproche ne m’a pas moins étonné que celle du Paradoxe que j’ai combattu ci-dessus. Non-seulement je ne me crois pas coupable de ne m’être point nommé, mais je pense encore avec un de nos plus grands Ecrivains, qu’il n’est jamais permis à qui que ce soit de le faire, quelque modeste & quelque équitable que soit la Critique. N’est-ce pas défier le Public, & lui dire hardiment que l’on ne craint point la censure des décisions que l’on publie, dès que l’on ose se montrer à visage découvert ? Et d’ailleurs quelle autorité auroit pû donner à ma Critique le nom d’un inconnu ? Si mes remarques sur les défauts des Ouvrages exposés sont vraïes, qu’importe de quelle part vienne la vérité à ceux qui la désirent ? Si elles sont fausses, elles ne méritent que du mépris, venant surtout d’un Anonime. En me nommant, n’aurois-je pas affiché l’envie de tirer de la vanité & de la réputation de ma Critique ; & j’ai déclaré dans mes Réflexions que je renonçais à cette frivole gloire, en exposant en peu de mots les motifs qui m’ont déterminé à les écrire, & que je vais vous dire ici un peu plus au long […]
Peu idolâtre de l’encens du Public, dont j’ai pesé il y a long-tems la fumée, je suis aujourd’hui plus convaincu que jamais de l’erreur de ceux qui dans un état privé & sans nécessité, sacrifient au zèle pour la Patrie, & au vain nom d’homme d’esprit & de goût, les deux seuls biens dignes à mon gré de leur ambition, la tranquillité, & l’indépendance. Trésors précieux & divins ! mais dont les hommes ignorent le prix. Je dis la tranquillité, parce qu’il n’est plus de repos pour un homme qui espère follement satisfaire le Public, en répondant à ses Critiques. Si j’ajoute l’indépendance, c’est que tout Auteur porte les fers de la bizarrerie de ce Public & de sa malignité. Je viens de l’éprouver à l’occasion de ce petit Ouvrage… »
"Anonime", alias Étienne La Font de Saint-Yenne (1688-1771), Lettre de l'Auteur des REFLEXIONS sur la Peinture, & de l'examen des Ouvrages exposés au Louvre en 1746, 1747
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Réflexions sur quelques causes de l'état présent de la peinture en France avec un examen des principaux ouvrages exposés au Louvre le mois d'août 1746, 1747
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